Twitter et Facebook ont pris le pouvoir face à Donald Trump après les violences du Capitole (2024)

États-Unis

Par Maïwenn Bordron

Mis à jour le publié le

8 min

Les réseaux sociaux ont réagi à l'intrusion des militants pro-Trump dans le Capitole. Twitter a fini par suspendre totalement le compte de Donald Trump. Mark Zuckerberg ayant annoncé ce jeudi que ses comptes Facebook et Instagram seraient bloqués pendant "au moins deux semaines".

C'est sans précédent dans l'histoire des réseaux sociaux: le président des États-Unis ne pouvait plus s'exprimer sur Facebook, Instagram, Twitter mais aussi Snapchat ou Twitch et dans une moindre mesure YouTube après l'intrusion ce mercredi 6 janvier de militants pro-Trump à l'intérieur du Capitole, à Washington. Dans un premier temps, alors que les supporters du milliardaire républicain manifestaient dans un climat insurrectionnel, Facebook avait simplement supprimé une vidéo postée sur le compte de Donald Trump, puis suspendu temporairement son compte. Ce jeudi 7 janvier, le PDG de Facebook a finalement pris des mesures plus drastiques à l'encontre du locataire de la Maison Blanche. Mark Zuckerberg a annoncé que les comptes Facebook et Instagram de Donald Trump resteraient bloqués pour une durée indéterminée et pendant "au moins les deux prochaines semaines". "Nous pensons que permettre au président de continuer à utiliser nos services pendant cette période pose des risques trop grands", a déclaré le patron de Facebook.

Twitter, de son côté, a d'abord suspendu temporairement le compte @realDonaldTrump du président des États-Unis pendant 12h. Il était de nouveau actif ce vendredi matin. Trois tweets ont également été retirés. Parmi eux, une vidéo où Donald Trump appelait les manifestants à "rentrer chez eux"mais où il déclarait à nouveau que l'élection avait été"volée". Et vendredi soir, sa plateforme de prédilection a décidé, après un nouveau tweet de Donald Trump annonçant qu'il n'assisterait pas à l'investiture de Joe Biden, de suspendre ce compte indéfiniment.

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"Après examen approfondi des tweets récents de @realDonaldTrump et du contexte actuel - notamment comment ils sont interprétés (...) - nous avons suspendu le compte indéfiniment à cause du risque de nouvelles incitations à la violence" de la part du président américain sortant, a expliqué l'entreprise dans un communiqué.

Donald Trump a accusé Twitter de "museler la liberté d'expression"dans un message publié sur le compte officiel de président des États-Unis @POTUS."Nous ne serons pas réduits au silence", a-t-il protesté à l'attention des "75 millions de patriotes" qui ont voté pour lui. Et d'évoquer des représailles contre le réseau et le possible rapide lancement de sa propre plateforme, à travers une série de messages immédiatement retirés par Twitter.

"Utiliser un autre compte pour éviter la suspension est contre nos règles", a expliqué un porte-parole de la société, qui va aussi prendre des mesures "pour l'imiter l'utilisation" des comptes gouvernementaux comme @POTUS et @WhiteHouse.

YouTube a également retiré une vidéo du président sortant de sa plateforme et l'application Snapchat a annoncé ce jeudi avoir bloqué le compte de Donald Trump.

Ces décisions inédites marquent-elles un tournant dans la politique de modération des réseaux sociaux? Éléments de réponse avec Romain Badouard, maître de conférences en sciences de l'information et de la communication à l'université Paris-II, et John Villasenor, directeur de l'Institut de Technologie, Loi et Politique à UCLA (Université de Californie à Los Angeles).

[Entretiens et article ci-dessous réalisés avant la suspension permanente du compte Twitter de Donald Trump]

À situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles

La suspension d'un compte ou la suppression d'un tweet sont des mesures prises régulièrement par les plateformes pour des utilisateurs "communs". Donald Trump bénéficiait, jusque-là, d'un traitement de faveur grâce à son statut de chef d'État: Twitter ou Facebook n'avaient jamais supprimé ses tweets ou ses messages postés sur les réseaux sociaux. Les plateformes se contentaient de masquer certains de ses propos incitant par exemple à la haine ou d'ajouter des avertissem*nts sous des messages problématiques, qui relevaient par exemple de la désinformation ou qui mettaient en cause la démocratie. Twitter avait annoncé que Donald Trump cesserait de bénéficier de ce statut particulier et qu'il redeviendrait un utilisateur comme les autres, dès le 20 janvier à l'investiture de Joe Biden, son successeur à la Maison Blanche. À partir de cette date-là, la plateforme avait prévu de le soumettre à la même politique de modération que ses autres utilisateurs. Cette décision initiale a donc été bousculée par la manifestation des pro-Trump au Capitole.

C'est la première fois qu'une personnalité politique de premier rang est visée par ces mesures de suspension de compte et de suppression de messages. "C'est totalement inédit. On accuse souvent les grandes plateformes d'être trop laxistes par rapport au contenu qu'elles hébergent. Là, elles ont montré qu'elles étaient capables d'intervenir directement sur les contenus et en plus, de censurer directement le président des Etats-Unis. C'est du jamais-vu", souligne Romain Badouard, maître de conférences en sciences de l'information et de la communication à l'université Paris-II. Un des vice-présidents de Facebook, Guy Rosen, a d'ailleurs reconnu le jour-même de l'intrusion des militants pro-Trump au Capitole qu'il s'agissait d'une "situation d'urgence". "Nous prenons des mesures d'urgence appropriées, y compris le retrait de la vidéo du président Trump [...] qui, au final, contribue au risque de violence au lieu de le diminuer", a-t-il expliqué ce vice-président de Facebook, en charge de l'intégrité de la plateforme.

Twitter et Facebook ont pris le pouvoir face à Donald Trump après les violences du Capitole (1)

Twitter et Facebook ont pris le pouvoir face à Donald Trump après les violences du Capitole (2)

Selon Romain Badouard, cette "réaction inédite", qui répond en effet à une "situation inédite", peut être interprétée comme "un acte politique" de la part des plateformes. "Au moment où Twitter prend cette décision, les observateurs sont en train de se demander s'ils sont en train d'assister à un coup d'État", pointe du doigt le maître de conférences en sciences de l'information et de la communication à l'université Paris-II.

Ce mercredi 6 janvier, la violence, exacerbée par les réseaux sociaux, a semblé atteindre son paroxysme au sein du Capitole. "Il y a toujours eu un nombre signifiant de personnes qui ont continué à dire que le langage de Donald Trump était incendiaire et à même de déchaîner la violence. Mais il y avait face à eux, ceux qui répondaient que c'était une exagération. Ce qui est arrivé mercredi a enlevé la possibilité de n'importe qui d'affirmer que ce genre de propos ne contribuait pas à provoquer la violence", analyse John Villasenor, directeur de l'Institut de Technologie, Loi et Politique à l'Université de Californie à Los Angeles. Mais pour ce professeur, qui est également expert à la Brookings Institution, ces mesures arrivent trop tard. "Peu importe ce que font les plateformes maintenant, elles ont échoué dans le sens où elles ont mis trop de temps à prendre ces mesures", dénonce-t-il. Le mal est fait selon lui: "Les dommages sont énormes en termes de confiance dans la démocratie et dans le système électoral".

À réécouter : Trump : le jour où les réseaux sociaux ont pris leurs responsabilités

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Facebook et Twitter, deux politiques différentes

Ces mesures prises par Twitter et Facebook à l'encontre de Donald Trump sont assez similaires alors que les deux plateformes ont toujours adopté des politiques de modération distinctes. Twitter et Facebook ne s'accordent pas, par exemple, sur le traitement des propos de personnalités politiques. "Considère-t-on qu'on doit les modérer comme pour n'importe quel internaute, ce qui était plutôt le point de vue de Twitter ces derniers mois. Ou parce que ce sont des personnalités politiques de premier rang, doit-on les laisser libres de s'exprimer quel que soit leur discours, ce qui est plutôt le point de vue de Facebook", analyse Romain Badouard, maître de conférences en sciences de l'information et de la communication à l'université Paris-II.

Vu la tournure des évènements et la violence qui s'exprime dans le débat public américain et dans la rue, ces plateformes ont quelque part pris leurs responsabilités au point d'assumer un rôle de censeur de personnalités politiques de premier rang.
Romain Badouard, maître de conférences en sciences de l'information et de la communication à l'université Paris-II

Le juste équilibre est toujours difficile à trouver dans une politique de modération des propos d'internautes, le risque étant d'être accusé tour à tour de laxiste ou de censeur. "Facebook est accusé d'être trop pro-démocrates et de ne pas assez laisser libre cours aux contenus conservateurs aux États-Unis. Et donc, sa volonté initiale de ne pas censurer directement Donald Trump correspond justement à une stratégie pour montrer qu’ils ne sont pas opposés aux contenus conservateurs et qu'ils ne sont pas là, en tout cas, pour décider de ce qui peut être dit ou pas sur leur plateforme. À l'inverse, Twitter était accusé de ne pas assez modérer", souligne le maître de conférences en sciences de l'information et de la communication à l'université Paris-II.

Twitter et Facebook ont pris le pouvoir face à Donald Trump après les violences du Capitole (3)

Twitter et Facebook ont pris le pouvoir face à Donald Trump après les violences du Capitole (4)

Quand les plateformes n'agissent pas ou pas assez vite, on les accuse de laxisme, mais quand elles agissent trop vite, on les accuse de censure autoritaire.
Romain Badouard, maître de conférences en sciences de l'information et de la communication à l'université Paris-II

Mark Zuckerberg a par exemple déjà pris position pour affirmer que ce n'était le rôle de Facebook de censurer les personnalités politiques. Pour le PDG de Facebook, "quels que soient les propos qui sont tenus, ils contribuent au débat public et donc Facebook n'a pas envie de se poser en arbitre de la vérité", décrypte Romain Badouard. À l'inverse, les contenus d'internautes ordinaires sont plus modérés sur Facebook que sur Twitter. "Sur Twitter, il y a moins de modération: les contenus virulents, agressifs et haineux sont moins souvent supprimés ou rendus invisibles. Il y a à la fois une plus grande liberté d'expression sur Twitter, mais il y a aussi plus de contenus et de discours problématiques sur cette plateforme-là. Alors que Facebook a une stratégie un peu plus policée qui vise à modérer davantage pour que les contenus soient davantage acceptables ou conformes à ses politiques de publication", précise Romain Badouard. Lors de l'élection présidentielle au mois de novembre 2020, Twitter avait pris une mesure inattendue en décidant de modérer les propos de Donald Trump, en affichant un message d'avertissem*nt sous chaque tweet problématique. Face à la violences des événements du 6 janvier, les deux plateformes ont dû revoir leur doctrine initiale dans la précipitation et converger vers les mêmes mesures restrictives. Facebook a supprimé un post du président américain puis a annoncé la suspension "au moins pour deux semaines" du compte de Donald Trump. Twitter a pour sa part retiré trois tweets et suspendu temporairement, pour 12 heures dans un premier temps, le compte du milliardaire américain.

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La liberté d'expression mise à mal?

Ces mesures exceptionnelles prises face à une situation exceptionnelle peuvent-elles être amenées à se multiplier, voire à être pérennisées? Pour Romain Badouard, il faut s'interroger sur le fait que "les grandes firmes privées puissent disposer de ce pouvoir de censure par rapport à des personnalités politiques de premier rang". Dans le cas de Donald Trump, ses propos contreviennent à la politique de publication des plateformes et ont donc été modérés comme s'il s'agissait de n'importe quel autre internaute. Mais qu'adviendra-t-il "de ce pouvoir politique des plateformes, sur la censure ou non des expressions des personnalités politiques? ", s'interroge le maître de conférences en sciences de l'information et de la communication à l'université Paris-II. "Il fallait le faire face à cette situation. Mais qu'est-ce que cela veut dire pour l'avenir?", ajoute celui qui est également auteur de Les Nouvelles lois du web: Modération et censure.

La grande question est: quelle est la légitimité démocratique de ces modérateurs pour supprimer ou censurer les discours d'un président élu démocratiquement?
Romain Badouard, maître de conférences en sciences de l'information et de la communication à l'université Paris-II

John Villasenor estime, de son côté, que la liberté d'expression n'est pas en danger avec ce type de mesures: la censure peut être mise en place par un gouvernement mais le terme n'est pas adéquat pour des plateformes privées, comme Facebook et Twitter. "Certaines personnes se plaignent souvent que Facebook ou Twitter pourraient porter atteinte aux droits protégés par le premier amendement"de la Constitution américaine, souligne le directeur de l'Institut de Technologie, Loi et Politique à l'Université de Californie à Los Angeles."Mais les entreprises privées comme Facebook et Twitter n'ont aucune obligation d'assurer la liberté d'expression dans son intégralité qui doit être protégée par le premier amendement", ajoute-t-il. Ce texte, ratifié en 1791, spécifie notamment que le "Congrès ne fera aucune loi [...] qui restreigne la liberté de parole ou de la presse". Selon John Villasenor, le premier amendement insiste donc sur le fait que "le gouvernement ne peut pas restreindre notre liberté d'expression de façon abusive, mais il ne dit rien à propos des entités privées". Cet expert américain des réseaux sociaux affirme que les plateformes, elles, n'ont aucune obligation légale dans ce domaine et peuvent donc restreindre la liberté d'expression, comme cela a été le cas avec Donald Trump.

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